Schémas galants dans l’œuvre de Hasse (9) : le Sol-Fa-Mi

Souvent choisi pour les thèmes de mouvements lents ou modérés, le Sol-Fa-Mi présente une mélodie descendante qui lui confère un caractère moins assertif que le Do-Ré-Mi[1]. Dans sa version prototypique décrite par Robert O. Gjerdingen, le Sol-Fa-Mi présente une descente mélodique du cinquième au troisième degré associée à une basse qui peut rappeler le Meyer.

Le prototype du Sol-Fa-Mi.

Les usages hassiens du Sol-Fa-Mi sont conformes à la description proposée par le musicologue américain. Johann Adolf Hasse recourt par exemple à ce schéma dans la fondamentale aria « Mira entrambe, e dimmi poi » d’Alcide al bivio (Vienne, 1760), où Edonide s’efforce de troubler Alcide pour le détourner du chemin de la vertu.

Le Sol-Fa-Mi n’est pas réservé aux numéros vocaux. Il sert également de base au mouvement lent de la sinfonia introductive de Piramo e Tisbe (Vienne, 1768).

Début du mouvement central à 2 minutes 24.

Les deux exemples cités sont extraits d’ouvrages viennois tardifs. Comme le remarque R. O. Gjerdingen, c’est surtout à partir du milieu du siècle que le Sol-Fa-Mi devient un schéma très répandu, ce qui se vérifie dans l’œuvre de Hasse. Il existe néanmoins quelques exemples hassiens de Sol-Fa-Mi au moins à partir de la fin des années 1730. Dans l’aria de Licori « Serpente che sopito » de la pastorale Asteria (Dresde, 1737), le Saxon emploie le Sol-Fa-Mi pour évoquer le serpent assoupi.

Dans Numa Pompilio (Hubertusburg, 1741), le Sol-Fa-Mi apparaît dans l’aria du héros éponyme « Ah, non mostrarmi amore ». Le schéma y est associé à un type d’air particulièrement important chez Hasse, le Lento pathétique en mi majeur.

Dans l’Antigono (Dresde, 1744), en revanche, c’est dans un élégant air pastoral de demi-caractère confié à la seconda donna Ismene, « Perche due cori insieme », qu’est utilisé le Sol-Fa-Mi.

Ces trois exemples précoces de Sol-Fa-Mi témoignent de la diversité des usages auxquels se prête le schéma. Deux principaux registres privilégiés semblent cependant se dégager de l’examen des usages hassiens de cette trame. Le premier est celui du pathétique. Ainsi Hasse choisit-il le Sol-Fa-Mi pour l’aria de Melite (Il Natal di Giove, Dresde, 1749), notée Un poco lento en ¾ dans la très significative tonalité de mi majeur, souvent associée chez le Saxon au thème du sacrifice. Le personnage y exprime en effet sa volonté de mourir pour son père et sa patrie.

Dans Solimano (Dresde, 1753), le Sol-Fa-Mi exprime le déchirement qu’éprouve Narsea en exhortant Selim, qu’elle aime, à l’oublier. Comme la précédente, l’aria est écrite dans la tonalité de mi majeur.

Écouter l’aria ici.

On retrouve le Sol-Fa-Mi dans l’aria de Sammete « Se d’amor, se di contento » de la Nitteti révisée (Varsovie, 1759), où il est question pour le personnage de mourir d’amour. L’aria est cette fois notée dans la tonalité, expressive entre toutes à l’époque galante, de mi bémol. Très significativement, l’aria, écrite ex novo par Hasse pour le castrat alto Pasquale Bruscolini, remplace un Adagio en mi majeur confié à Venise au castrat soprano Giuseppe Belli dans la première version de l’opéra (1758).

Les potentialités pathétiques du Sol-Fa-Mi le désignent comme un schème très adapté aux thèmes des duos de dramma per musica. Dans le duo qui conclut l’acte I de Ciro riconosciuto (Dresde, 1751), Ciro entame un Sol-Fa-Mi qu’Arpalice se charge de compléter. Comme on l’a dit, le schéma présente une mélodie descendante peu assertive, qui convient particulièrement au dialogue entre deux personnages très jeunes, timides et inexpérimentés, empêchés de surcroît d’exprimer librement leurs sentiments.

L’emblématique duo « La destra ti chiedo » qui conclut l’acte II de Demofoonte revêt incontestablement un caractère pathétique beaucoup plus affirmé que le charmant et gracieux duo de Ciro : Timante et Dircea sont condamnés à mort. Dans sa version napolitaine du drame de Métastase (1758), Hasse compose un thème basé sur le Sol-Fa-Mi.

Le second registre privilégié d’usage du Sol-Fa-Mi est celui de la rêverie pastorale, au cœur du dramma per musica issu de la réforme arcadienne. L’aria de Creusa « Felice età dell’oro » de Demofoonte (Dresde, 1748), rêverie très métastasienne sur l’âge d’or perdu, s’ouvre sur l’enchaînement de deux Sol-Fa-Mi.

La même aria, dans la version napolitaine du livret de Métastase (1758), s’appuie de nouveau sur le Sol-Fa-Mi.

Hasse emploie de nouveau le Sol-Fa-Mi dans l’aria « Ah, ritorna, età dell’oro » d’Il Trionfo di Clelia (Vienne, 1762), où Larissa invoque l’âge d’or qui subsiste au plus intime des âmes innocentes.

Ces différents exemples montrent que Hasse simplifie ou modifie souvent la basse prototypique du schéma. En effet, comme le note R. O. Gjerdingen, le Sol-Fa-Mi n’est pas toujours bien défini ; plusieurs basses différentes peuvent être associées à sa trame mélodique. À la basse prototypique peut notamment être substituée une basse de Romanesca[2]. La formule est attestée chez Hasse, par exemple dans l’aria de Laodice « Mi lagnero tacendo » de Siroe, Re di Persia (Dresde, 1763) : le Sol-Fa-Mi se superpose à une Romanesca Pachelbel.

On retrouve le même modèle dans l’aria de Bradamante « So che un sogno è la speranza » de Ruggiero (Milan, 1771).

Écouter l’aria ici.

La basse alternative la plus fréquemment retenue chez Hasse rappelle cependant celle du Do-Ré-Mi, ce qui permet d’ailleurs de combiner les deux schèmes. Dans l’aria de Scitalce « Se vi lascio, o luci belle » de la Semiramide riconosciuta (Dresde, 1747), le Sol-Fa-Mi s’insère dans un Do-Ré-Mi.

L’aria de Fulvia « Quel finger affetto » de l’Ezio (Dresde, 1755) présente une construction comparable appuyée sur la même progression de la basse. L’ambiguïté qui résulte du jeu entre les deux schémas répond peut-être au texte de l’aria : « pour beaucoup, feindre l’amour est un plaisir ».

D’autres combinaisons sont possibles. Dans l’aria « Mille dubbi mi destano in petto » chantée par l’héroïne en conclusion de l’acte I d’Il Trionfo di Clelia (Vienne, 1762), Hasse superpose le Sol-Fa-Mi à un schéma désigné par John A. Rice sous le nom de Lully.

Plus encore que pour d’autres schémas, il existe des cas-limites : en effet, la descente mélodique à partir de la dominante est une formule commune, susceptible de recevoir des basses très diverses.


[1] Robert O. Gjerdingen, Music in the Galant Style, Oxford University Press, Oxford, 2007, p. 463.

[2] Ibid., p. 254.

Publié par ilcarocinese

Docteur en histoire contemporaine, passionné de longue date par la musique de Hasse et par l'opera seria

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