La foi d’un compositeur catholique au siècle des Lumières : Et resurrexit (Credo de la Messe en mi bémol majeur, 1779)

La fête de Pâques, qui célèbre les événements fondateurs de la foi chrétienne, offre particulièrement l’occasion de s’intéresser à la mise en musique de la proclamation de cette foi par le symbole ou Credo, et plus spécialement des articles de foi relatifs à la Résurrection et au triomphe du Christ. Au cours de sa carrière, Johann Adolf Hasse met en musique au moins une dizaine de fois l’ordinaire de la messe, qui comprend le Credo. C’est ici la Messe en mi bémol majeur de 1779, l’une des trois missae ultimae du Saxon, composées à Venise à l’usage de la Cour de Dresde, qui retiendra mon attention.

Comme souvent chez Hasse, le Credo se décompose en trois mouvements (Credo in unum Deum – Et incarnatus est – Et resurrexit). L’Et resurrexit est un Allegro assai en ₵ et do majeur, tonalité qui caractérisait déjà le premier mouvement, avec trompettes, timbales, cors et hautbois.

Comme le note Raffaele Mellace,

Dans la dispute entre le sévère stylus antiquus et le style concertant moderne, Hasse s’est sans hésitation orienté dès sa production pour les Incurabili dans la direction du second […]. Ce choix l’éloigne de la tendance dominante du second quart du XVIIIe siècle dans des centres comme Naples (mais aussi Rome et Bologne) pour le rapprocher des usages des villes allemandes et de la couronne impériale, où la musique sacrée hassienne trouve un contexte parfaitement en accord avec son génie personnel[1].

Le Credo de la messe en mi bémol ne fait pas exception. La brève, brillante et joyeuse fanfare de trois mesures qui constitue la ritournelle introduit d’abord un motif instrumental, donné d’abord par les trompettes, dont Hasse se sert ensuite pour unifier l’ensemble du mouvement.

Le motif exposé d’abord aux trompettes, qui reparaît par la suite à plusieurs reprises pour unifier le mouvement.

Puis le témoignage triomphal de la glorieuse résurrection du Christ est annoncé par un chœur compact, homophone et syllabique, qui énonce sur une basse de Bergamasque un thème en Do-Ré-Mi dont la trame ascendante semble particulièrement indiquée.

On notera la basse cadentielle (4-5-1) qui rappelle la Bergamasque, dont on retrouve la progression harmonique typique (I-ii6-V-I).

Malgré une incursion dans la dominante (sol), la première grande section cadence dans la tonique, qui semble particulièrement adaptée pour évoquer le règne du Christ « qui n’aura pas de fin » (Cujus regni non erit finis). Pour donner davantage d’emphase à la profession de foi en l’éternité du règne du Christ, Hasse se permet l’une des rares répétitions de texte du mouvement.

Par souci de contraste, la foi en l’Esprit-Saint est affirmée en notes répétées, sans le concours des vents (même si les trompettes donnent de nouveau le motif de fanfare lorsque le texte évoque l’égale glorification des trois Personnes divines), par les ténors et les basses en la et mi mineur, puis fa majeur.

Il faut noter qu’il ne s’agit pas de solistes : tutti sempre, précise la partition. Hasse, pourtant, ne répugne pas à l’intégration d’interventions solistes dans de grandes sections chorales, comme le montrent ses messes de Requiem et ses deux Miserere. Peut-être s’agit-il ici de souligner le caractère à la fois objectif et ecclésial des vérités proclamées, qui ne relèvent pas en premier lieu de la subjectivité humaine, mais de l’autorité de la Révélation : il s’agit d’une profession de foi venue du fond des âges, énoncée par le chœur des prophètes et des patriarches de l’Ancienne Alliance qui, sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, adhéraient en espérance et en figure au Messie à venir. La montée progressive et solennelle de la ligne mélodique suggère la gloire de la troisième Personne divine, égale et coéternelle au Père et au Fils.

La profession de la foi en l’Église donne lieu à un nouveau contraste, puisqu’elle est effectuée par les sopranos et altos tandis que les cuivres font leur retour, pour souligner peut-être combien la Nouvelle Alliance est plus glorieuse que l’ancienne. Dans la Missa ultima en sol mineur de 1783, Hasse traite avec un éclat particulier cet article de foi. Un peu moins imposante, la version de 1779 n’en représente pas moins avec beaucoup de solennité l’Église triomphante, la Jérusalem nouvelle, descendant du ciel magnifiquement parée en l’honneur du divin Époux. Assurément, pour le converti au catholicisme qu’était Hasse, la foi en l’Église une, sainte, catholique et apostolique revêtait une signification particulière. Ce triomphe de l’Église est évoqué au moyen d’un Monte qui inclut un commentaire orchestral en Ponte sur pédale de dominante qui permet de laisser en suspens la phrase inachevée.

On notera, à propos de l’article relatif au baptême et à la rémission des péchés, le recours au Fonte, qui témoigne, après le Monte qui le précède immédiatement, de l’omniprésence du langage galant dans cette pièce sacrée : l’utilisation de ces schèmes modulants comportant plusieurs étapes se révèle particulièrement commode pour mettre en musique le texte du Symbole sous la forme de brefs segments ponctués par les interventions de l’orchestre tout en préservant l’unité de l’ensemble. Le propos bascule ensuite en la mineur, une sixte napolitaine colorant la formule cadentielle.

L’ensemble du chœur revient pour professer la foi en la résurrection générale, en revenant à la tonique après un accord de septième diminuée qui rappelle les tribulations par lesquelles doit passer le Corps mystique avant de partager la gloire de son Chef.

L’Et vitam venturi prend la forme d’un brillant fugato conclusif avec sujet, réponse dans la dominante et entrée des voix en imitation à partir des sopranos, qui constitue la principale concession au style contrapuntique : comme l’écrit Raffaele Mellace, Hasse « recourt au style ancien de manière modeste sur le plan quantitatif, mais non sur le plan du niveau esthétique[2] ».

Le Saxon se garde bien cependant de composer une fugue chorale stricte, un style plus homophone faisant rapidement son retour en même temps que la fanfare des cuivres pour marteler péremptoirement l’Amen final, répété à de multiples reprises.

Dans la lettre du 19 novembre 1768 à son ami Ortes, Hasse, en annonçant sa décision de se retirer des scènes théâtrales, désigne désormais la musique d’église comme sa « plus grande passion » et expose son intention de continuer à la pratiquer « aussi longtemps que Dieu me gardera en vie », ce qui indique que, dans la dernière phase de sa vie musicale, dégagée de toute obligation contractuelle, le choix d’écrire des œuvres sacrées relève bien d’une volonté personnelle de piété. Traduction en langage musical galant du contenu dogmatique de la foi, la conclusion du Credo de la messe en mi bémol constitue donc encore un témoignage de la religion de Hasse, d’une foi simple, solide et sincère qui n’évacue pas la Croix ni les tribulations, mais, les yeux déjà fixés sur la gloire de l’Église triomphante et du monde à venir, se distingue par une confiance joyeuse en la puissance de Dieu.

Joyeuse fête de Pâques à tous les lecteurs d’Il Sassone !


[1] Raffaele Mellace, Johann Adolf Hasse, L’Epos, Palerme, 2004, p. 341-342.

[2] Ibid., p. 382.

Publié par ilcarocinese

Docteur en histoire contemporaine, passionné de longue date par la musique de Hasse et par l'opera seria

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